Jean Pierre Masson
25 août 1918 - 11
Mars 1995
Jean-Pierre Masson naît le 25
août 1918 à Sainte-Agathe dans les Laurentides. Il a vécu sa jeunesse dans la
misère. Son père est mort lorsqu’il était très jeune et sa mère cousait la
nuit, pour faire vivre ses six enfants. À la suite du décès de son père, sa
mère place ses enfants dans un orphelinat. Jean-Pierre a gardé un excellent
souvenir des sœurs qu’il a connues. La communauté religieuse payait ses études
classiques au Séminaire de Saint- Hyacinthe.
Aux dires de ses anciens
camarades du Séminaire, Jean-Pierre aimait beaucoup participer aux
représentations de théâtre. Il apprenait ses textes à la dernière minute et
n'aimait pas se faire dire par les autres acteurs qu’il était paresseux parce
qu’il n’apprenait pas ses textes à temps. Malgré ce défaut, il était très bon
et très populaire, il n’acceptait pas que les autres aient des blancs de
mémoire, même si ça lui arrivait souvent; il était perfectionniste et un peu
soupe au lait. Mgr Gérard Dupuis raconte : « Alors, il arrivait que dans les
répétitions, à un moment donné, il improvisait. Il embarrassait ses compagnons,
nécessairement, ça les embêtaient, ils ne savaient pas quoi répondre, ils
étaient perdus. Il cherchait à frôler le décor pour que le souffleur lui donne
la réplique qu’il devait dire. C’était quand il avait le trac réellement, que
Jean-Pierre était bon. » (1) Le père Émile Legault, directeur de la troupe Les
Compagnons de Saint-Laurent, alla assister à une pièce où Jean-Pierre jouait un
empereur de Rome et le père Legault le remarqua. C’était à la fin des années
1930, son chemin était tracé, mais pour l’instant, il l’ignore.
En effet, il décidera de faire
ses études universitaires en droit. Pour payer ses études, il fera du théâtre
et il travaillera sur des bateaux à Sorel durant la Deuxième Guerre Mondiale.
Pendant son séjour à l’Université de Montréal (1939 à 1943), sa fiancée
n’aimait pas qu’il pratique le théâtre, parce que ça lui enlevait du temps pour
étudier. Il a réussi ses examens du Barreau, mais il préférait le monde de la
scène et de la radio.
Jean-Pierre était reconnu, chez
Les Compagnons de Saint-Laurent, comme un type qui aimait rire et jouer des
tours, Jean-Louis Roux raconte une anecdote qui s’est produite à Saint- Raymond
de Portneuf : « Il fallait rentrer au chalet en chaloupe et souvent, c’était
George Groulx qui ramait et c’était Jean-Pierre qui dirigeait derrière, qui
donnait la direction de la chaloupe. Alors Jean-Pierre s’arrangeait pour que la
chaloupe tourne en rond et alors il engueulait George Groulx en lui disant : «
Mais George, qu’est-ce que tu fais? » George lui disait : « Ben, j’rame, j'rame
» Évidemment, tout le monde était au courant et on s’amusait beaucoup » (2)
Avant d’être un téléroman, La
famille Plouffe était présentée à la radio. Jean-Pierre jouait le rôle d’Ovide
Plouffe. En 1953, un an après l’arrivée de la télévision, on annonce que La
famille Plouffe deviendra un téléroman, ce sera le premier fait au Québec.
Jean-Pierre refusa d’interpréter le personnage d’Ovide Plouffe, jugeant qu’il
n’avait pas le style d’un intellectuel. L’auteur Roger Lemelin a fait quelques
tentatives pour le faire changer d’idée, mais en vain. Il jouera dans ce
feuilleton, dans le personnage de Léonidas. Plus tard, il décrochera le rôle de
sa vie.
Depuis 1933, à l’aide du roman Un
homme et son péché, les gens avait fait connaissance avec un nouveau personnage
qui marquera profondément le Québec, Séraphin Poudrier, un avare sans pitié,
écrit par Claude-Henri Grignon. On joua Un homme et son péché au théâtre, à la
radio et au cinéma, toujours avec un grand succès. En 1956, Un homme et son
péché devient un téléroman qui va connaître un immense succès et portera le nom
: Les Belles Histoires des pays d’en haut; il est à noter que cette émission
possède le record de télédiffusion, soit 14 ans.
Des auditions sont déclenchées.
Pour trouver l’acteur qui incarnera le personnage de Séraphin Poudrier, la
lutte est très chaude, Yvon Leroux explique : « Au moment des auditions, le
producteur Paul L’Anglais me révèle comme en confidence, que le commanditaire
n’a pas encore arrêté son choix, quant à l’âge que devrait avoir ce rôle
principal au début de la série. S’il est
dans la vingtaine, je serai le seul candidat sur les rangs. La situation sera
la même pour Robert Rivard, si Séraphin a franchi le cap des trente ans.
Jean-Pierre Masson auditionnera lui pour le personnage ayant atteint l’âge mûr.
Ce que monsieur L’Anglais ne me dit pas, et c’est de bonne guerre, c’est que
les commanditaires n’ont surtout pas décidé, s’ils préfèrent que ce personnage
important soit confié à un comédien peu connu, à un autre qui profite déjà
d’une certaine popularité ou purement et simplement à une vedette établie. »
(3)
Jean-Pierre Masson avait l’âge
mûr et était une vedette établie, c’est ainsi qu’il reçoit le rôle. Yvon Leroux
jouera plus tard le personnage de Bidou Laloge, le beau-frère de Séraphin. Dès
le moment où il mettait son costume, il rentrait parfaitement dans la peau du
personnage. Il n’avait pas besoin de maquillage, tout ce qu’il avait à faire, c’était
de se peigner et sa figure changeait totalement. De 1956 à 1967, ce téléroman
est télédiffusé en direct, ce qui veut dire que les blancs de mémoire ne sont
presque pas permis. Jean-Pierre en avait, René Caron raconte : « Il en avait
souvent, mais il était tellement habile, que ça ne paraissait pas. C’est
seulement plus tard, que j’ai su que ça lui arrivait souvent. C’était un gars
qui possédait son art, à ce moment on travaillait en direct. Alors, quand on
avait des blancs de mémoire, il fallait improviser, lui, il faisait en sorte
que son débit était très lent, alors, ça lui permettait de penser à autre chose
et il remplissait le temps. Nous autres, nous travaillions avec lui et on s’en
rendait plus ou moins compte. Il était devenu un expert. » (4)
Ses anciens camarades du
Séminaire étaient fiers et surpris en même temps de le voir jouer un rôle
principal que celui de Séraphin, François Crépeau explique : « Ah! Je trouvais
ça drôle. Je me disais toujours : « Comment ce qu’il fait pour apprendre ce rôle-là
dans une semaine. »(5) Années après années, de nouveaux jeunes comédiens
rentraient dans la distribution des Belles Histoires et Jean-Pierre aidait aux
jeunes comédiens afin qu’ils se sentent plus à l’aise. Réjean Lefrançois a reçu
son aide : « Il y avait une belle
collaboration. Il nous aidait beaucoup. Il nous disait : Veux- tu qu’on refasse
la scène un peu avant l’enregistrement? »… Alors de sa part, c’était vraiment
magnifique, parce qu’il avait d’autre chose à faire que d’aider les gens et il le
faisait tout le temps. »(6) Il vivait assez bien du fait que les gens le
reconnaissait dans la vie quotidienne, du moins durant les années que ce
téléroman a duré, car après 1970, il trouvait ça pas mal moins agréable.
Andrée Champagne, avec qui il a
beaucoup joué durant 14 ans, dit : « Si je pouvais voir les yeux de
Jean-Pierre, il m’était facile de déceler une difficulté qui s’amorçait. Ses
yeux normalement si bleus devenaient soudainement gris, comme vitreux. Je
faisais de mon mieux pour le remettre sur la piste. Il me rendait la pareille
si je me trouvais aux prises avec le même problème. » (A)
Après 14 ans de télédiffusion,
Les Belles Histoires des pays d’en haut se terminent le 25 mai 1970. Le public
ne pourra plus voir les comédiens interprétant leur personnage original, mais il
ne les oubliera jamais. Le fait que le personnage joué par Jean-Pierre Masson
n’était pas aimable, n’a pas aidé à se retrouver d’autres rôles importants.
Oui, il a joué dans d’autres émission, comme Symphorien et Grand-papa par
exemple, mais le public voyait toujours Séraphin dans Jean-Pierre Masson, même
vers la fin de sa vie, les gens l’identifiait à ce personnage, c’est dur pour
le moral. Il était devenu, pour le public et les réalisateurs, Séraphin
Poudrier.
Il mêlait son personnage à lui,
Élizabeth LeSieur explique : « À un moment donné, c’était devenu comme un personnage
mélangé à lui-même, il racontait une blague et tout à coup, il la racontait en
Séraphin, au lieu de la raconter en Jean-Pierre Masson. » (B)
Entre 1970 et l’année de son
décès, 1995, sa vie s’assombrit. Lorsqu’il allait frapper à la porte des réalisateurs,
ils lui disaient que le public devait oublier son personnage. Il devenait de
plus en plus aigri, mesquin avec ses camarades. Il est même devenu alcoolique,
malheureusement, lui qui était reconnu pour son sens de l’humour, ne riait
presque plus.
À Poettsville, près de
Philadelphie en Pennsylvanie, le 11 mars 1995, Jean-Pierre Masson est retrouvé
mort dans sa chambre d’hôtel, seul. Il est décédé d’une crise cardiaque. À
l’annonce de sa mort, le public trouva triste qu’il soit mort seul, oublié de tous
et méprisé; à un certain point, à cause de son personnage (disparu depuis 25
ans) qui lui a collé à la peau, malgré lui. Les gens semblaient adorer et
admirer Jean-Pierre, alors pourquoi les mêmes gens lui criaient des noms et des
injures (légèrement moins à la fin de sa vie) et n’a jamais plus joué de grands
rôles à la télévision, à cause d’un personnage disparu, je le répète, depuis 25
ans ?
Ses amis lui rendirent un beau
témoignage.
Guy Provost
« C’était un excellent camarade
pendant des années, que je considérais comme un excellent comédien avec qui
j’avais énormément de plaisir à jouer. » (7)
René Caron
« C’était un excellent comédien,
comédiens très intelligent. À ce point de vu, c’était un de nos bons » (8)
Thérèse Cadorette
« Je l’estimais beaucoup et j’ai
joué de beaux rôles, dans les télé- théâtres et quand j’ai joué dans Les Belles
Histoires, je l’ai toujours trouvé très gentil et très correct. » (9)
Paul Hébert
« On se voyait assez souvent
quand il était propriétaire du Café des Artistes. J’allais souvent manger là et
je rencontrais Jean-Pierre et on avait toujours du plaisir. » (10)
Roland Chenail
« Jean-Pierre avait fait son
Droit, avait appris le chant et nous chantait des romances… Très belle voix de
baryton. Un excellent camarade, j’en ai
gardé un excellent souvenir et j’ai trouvé que c’était une fin triste, mais que
voulez-vous, le destin est là? » (11)
L’abbé Fernand Larochelle
« Moi, ce que j’aimais de lui,
c’est quand il marchait, une démarche un petit peu bonhomme, toujours le visage
souriant, toujours envie de rire, toujours un gars qui aimait avoir du « fun. »
Il aimait la vie et ses confrères. » (12)
01 - Entretien avec Mgr Gérard
Dupuis, le 29 septembre 1999
02 - Entretien avec Jean-Louis
Roux, le 17 juillet 1999
03 - Lettre d’Yvon Leroux, le 17
décembre 1999
04 - Entretien avec René Caron, le
5 août 1998
05 - Entretien avec François
Crépeau, le 17 octobre 1999
06 - Entretien avec Réjean
Lefrançois, le 8 juillet 1999
07 - Entretien avec Guy Provost,
le 9 juin 1998
08 - Entretien avec René Caron, le
5 août 1998
09 - Entretien avec Thérèse
Cadorette, le 9 décembre 1998
10 - Entretien avec Paul Hébert,
le 2 juillet 1999
11 - Entretien avec Roland
Chenail, le 10 juillet 1999
12 - Entretien avec l’abbé
Fernand Larochelle, le 28 septembre 1999
(A) Lettre d’Andrée Champagne, le
9 septembre 1998
Texte d’Étienne Binet
Photo - Collection
Jean Layette
Il méritait tous les trophées. Quel comédien!
RépondreSupprimerIl mérite une reconnaissance pour ce rôle de Seraphin. Il y a plusieurs artistes qui ont joué les vilains et ont pu continuer une carrière dans d'autres rôles. Difficile de comprendre pourquoi ça s'est arrêté pour lui.
RépondreSupprimerJe l’ai connu en 1988 ,il demeurait à Sutton et il venait me visiter à Cowansville après avoir été voir son ami le maire de Cowansville qui lui suggérait de venir me saluer ,j’avais le temps et il me faisait rire ,mais je partageais sa tristesse ! Il buvait beaucoup ..
RépondreSupprimerUn grand comedien j ai 59 ans et je regarde chaque annee mes coffrets des belles histoires.merci jean pierre
RépondreSupprimerUn immense acteur. Je ne me lasse pas d'écouter Seraphin. Il aurait eu droit à bien des récompenses.
RépondreSupprimerSi tous les hommes étaient Séraphins ,personne ne seraient endettés et la police n'existerait pas.
RépondreSupprimerY a une grande sagesse là dedans...
SupprimerTriste dénouement pour une personne qui a tant donné et le délaissé ainsi juste pour un personnage de téléroman qui M. Masson aura sombré dans l'oubli et est décédé. Triste perte.
RépondreSupprimerOui
SupprimerJ'aimais cet émission y compris les reprises
RépondreSupprimerUn grand comédien, triste fin.
RépondreSupprimerQuelle comédien partir dans l oublie . Et pourquoi l’avoir oublié pour un autre rôle
RépondreSupprimerEn 2024 je n,oublierai jamais ce bon comédien
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